L'HISTOIRE
« Don't forget to take a breath »

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» Quatre doigts fracturés, une mâchoire déplacée, une bonne vingtaine de points de suture, six commotions, une cheville brisée, une épaule déboîtée et deux dents en moins. Je crois que j'ai fais le tour de toutes les blessures que j'ai accumulé en vingt ans de carrière en tant qu'hockeyeur professionnel. Je suis tombé dedans tout petit. Le hockey sur glace est un sport discret en France, mais mon père en était un sérieux défendeur. La première fois que j'ai mis les pieds dans une patinoire j'ai eu un déclic. Cette ambiance, ce jeu, cette rapidité... Le lendemain j'ai supplié mon père de m'inscrire au club. Il y a beaucoup de préjugés autour de ce jeu; sport de brutes, les joueurs sont tous débiles à force d'avoir eu des commotions et j'en passe... Mais même si c'est un sport de contact, il y a des règles. Il y a certaine charges interdites et on est très bien protégé. On est jamais à l'abris d'un accident c'est sur. J'ai entendu parler de ce joueur en Suisse qui s'est fait sectionné les artères du cou parce qu'à terre, un joueur lui est rentré dedans et les larmes de ses patins lui ont ouvert la gorge. Il y a aussi ce joueur paralysée à vie parce que deux cervicales se sont brisées après une chute contre la bande. Jusqu'à présent, je touche du bois. Quelques petites blessures dites "normale" pour ce sport. Mais j'avoue que l'ostéopathe est devenu mon meilleur pote.

» Dix neuf ans, je réalise mon rêve. Ca fait huit petites années que je joue au hockey sur glace et une chance imanquable se présente à moi; je pars au Canada pour jouer dans l'équipe nationale. Je quitte père, soeur et Paris pour me rendre au nord des Etats-Unis, là où le hockey est une religion, là où les patinoires sont remplies de vingt et un mille spectateurs chauds comme la braise. Un vrai rêve éveillé. Je ne dis pas que ça a toujours été facile. Quand vous êtes Européen et que vous débarquer dans une grande équipe, on vous rit un peu au nez. On m'a souvent dit qu'en France on était des "tapettes" niveau équipe de hockey. Dans le fond ils ont pas tord mais j'ai fais de mon mieux pour leur prouver que je pouvais être à la hauteur d'une telle équipe. L'intégration a mis du temps à se faire mais une fois que c'était fait, je faisais presque partie des meubles. Je suis resté quatre ans au Canada. Une vie de folie. Ca ne s'arrête jamais. Entrainement tous les jours, régime alimentaire digne d'un bodybuilder, et une ambiance de fou durant les matchs. Notre équipe se hisse au classement, j'ai vu vivre ce que c'est qu'un vrai esprit d'équipe, une vraie entente, comme si on était une famille. Mais alors pourquoi être rentré en France? Bonne question... Le mal du pays sûrement. Tout est très grand au Canada, tout est très vite, très stressé... Même à Paris on est des maîtres du yoga à côté des américains. Et puis, ma petite soeur me manquait et mon père avait besoin d'aide à la maison alors à vingt trois ans, je suis revenu au pays, des souvenirs et des expériences incroyables pleins la tête. Peut-être qu'un jour j'y retournerais qui sait?

» Mon reflet dans le miroir me fait un peu peur. Je n'ai pas l'habitude de me voir avec une cravate et un smoking noir très classe. Mon père me regarde fièrement derrière moi. Je sens qu'il va verser une larme. Il me dit à quel point il aurait aimé que maman soit là pour ce jour si important. Ma petite soeur apparaît dans la pièce et resserre un peu ma cravate pour que je sois parfait. Mes mains tremblent, mais ce n'est pas le moment de me défiler. Je respire un bon coup et sort de la pièce en compagnie de ma famille. Une fois devant l'autel, je sens que je vais me liquéfier. Je sens des regards sur moi, et je sais que ma belle famille me passe au scanner, pas très heureux de voir que leur fille va se donner à un autre homme. Mon meilleur pote - et coéquipier - me lance une tape sur l'épaule. C'est le moment. Je fixe le sol quelques secondes et quand je relève les yeux, je la vois. Elle s'approche, elle s'avance au rythme de cette musique très connue - et ennuyeuse - elle n'est plus qu'à quelques mètres de moi. J'oublie tout. Elle est magnifique. Je ne pense plus à nos galères, aux blessures, à la mort de ma mère... J'oublie tout. Il n'y a plus que moi et ma fiancée qui se pose devant moi. Nos doigts se lient et j'essaie de lire l'expression sur son visage. Elle est neutre, elle ne dit rien, ne sourit pas. Le pasteur parle à nos côtés mais à vrai dire je ne l'écoute même pas. Il est temps de se dire "oui" pour la vie, oui jusqu'à la mort, oui dans la difficulté et oui par-dessus tout. J'attends ce moment avec impatience. Le pasteur se tourne vers elle et lui demande de répéter. La suite n'est qu'un enchainement d'événements dont je ne comprends pas le sens. Tout d'un coup, un vide se place en face de moi. Mes mains tombent dans le vide alors que mes yeux se tournent vers cette femme en robe blanche qui fuit l'église. Elle n'aura pas dit "oui".

» Auto-desctruction est devenu mon meilleur ami. Je doute, je ne sais plus où j'en suis, je ne sais plus quoi croire. Je me retrouve seul dans cet appartement. Je traine dehors pour ne pas être entre ces quatre murs. Je bois parce que ça me permets d'oublier quelques heures, je ne vais plus aux entrainements, ni aux matchs. Je ne vois plus personne. Elle n'a pas dit "oui" et c'est bien ce qui réduit ma vie à néant. J'avais tout. Maintenant je n'ai plus rien.