«
HEY LA GROSSE ! » «
SALUT LA BALEINE ECHOUEE ! » A chaque fois que je traversais le parc ou encore la cour de l’école, c’était la même chose. Je supportais quotidiennement les insultes des jeunes de mon âge. Devant eux, je serrais les dents et les ignorais mais une fois rentrée c’était le train-train quotidien : montée en furie jusqu’à ma chambre –aucun bonjour- et étalage sur le lit pour finalement créer le plus grand océan qu’il soit. Ni de ma mère et de mon père ne venaient me consoler ; ils le faisaient au début mais bien vite ils s’étaient lassés au point que mon père dise à ma mère
laisse-la, elle va se calmer, ça lui passera. Ouais comme si mon surpoids allait passer du jour au lendemain. Ce n’était pas quelque chose que je pouvais cacher, j’étais obligée de vivre avec que je le veuille ou non. Alors je prenais mon petit carnet et un stylo puis me confiais au seul confident que j’avais : mon journal intime.
Cher Journal, une fois de plus je suis rentrée en pleurs. Ça fait trois ans que ça dure, trois ans que je subis tout cet acharnement. Qu’est-ce qu’il y a de si mal à avoir des surplus ? Je n’ai rien demandé à personne, je subis simplement ce que la vie a voulu me donner. Je suis désolée de répéter les mêmes choses à chaque fois mais rien d’autre dans ma vie est intéressant. Non pas que le problème de mon poids soit hyper intéressant. J’entends ma mère qui monte, je dois dormir. Ta Penny, xx. Je glissai dans un geste furtif mon carnet dans ma boite à chaussures que je glissais dans le fond de mon placard puis sautai d’un grand pas dans mon lit. […] Toute seule à la maison, je revenais d’une journée des plus banales. Insultes à gogo, regards moqueurs. Mais ce soir, j’étais bien décidée. J’avais regardé quelques astuces sur Internet, je m’étais renseignée au fil du temps. Lame de rasoir à la main, je m’apprêtai à faire quelque chose certains regretteraient, mais pas moi. J’étais convaincue, j’avais assez attendu. J’en avais marre de tout ça, marre de ma vie, marre de la personne que j’étais. Et mettre fin à mes jours, c’était la seule solution envisageable. «
Putain tu fais quoi ?! » Mon frère, Idriss. Je m’étais retournée de façon instinctive, lui faisant face. Il avait une tête pétrifiée, son regard balançait entre la lame et mon visage ; il était incompréhensif face à la situation. «
Je vous débarrasse de moi. » Il m’arrachait la lame des mains, puis prenait mes poignets. «
T’as déjà essayé hein ? REPONDS MOI ! PENNY. » Je retirai mes poignets de son emprise. «
Ca te regarde pas, Idriss. Depuis quand tu t’occupes de moi ? » Sans même le regarder, je quittai la salle de bain. En effet, Idriss était sur la bonne voie : j’avais déjà fait subir ce genre de scarifications à mes bras, à l’aide s’un simple compas. Personne ne les avait jamais vues, étant donné que j’étais aussi transparente qu’une vitre.
«
Bonjour Penny, je vais être ta psychologue, ton assistante et ton aide durant ton séjour parmi nous. » Je lâchai un bonjour à peine audible, serrant la poignée de ma valise. On m’avait envoyé ici contre mon gré, c’était mon frère qui avait pris l’initiative. «
Ne t’en fais pas, tout se passera bien. Suis-moi, on va aller dans mon bureau pour faire plus ample connaissance. » Je suivais cette élégante femme à la taille parfaite, pas un pet de graisse, scrutant les alentours. Ils y avaient d’autres personnes comme moi ici, un peu plus développées corporellement que la moyenne. Au moins, je me sentais plus ‘normale’. «
Par ici mademoiselle ! » Oops, mes pensées me perdront un jour ! Déposant ma valise dans un coin de la salle, je m’installai sur le canapé disposé en face du bureau. «
Appelle-moi Maria. » J’acquiesçai, joignant mes mains l’une dans l’autre. «
Je vois que tu n’es pas très bavarde. » ajoute-t-elle avec un petit sourire. «
Alors Penny, parle-moi de ta vie en générale, dis-moi tout ce qu’il te passe dans la tête. » Je la regardais, un peu surprise qu’elle s’intéresse déjà à ma petite personne et son vécu. «
Euh … je m’appelle Penny. J’ai douze ans. Je suis née ici, j’ai un frère … qui s’appelle Idriss. » Elle attendait surement plus de moi mais je n’avais pas la parole facile. «
Je vais te poser des questions, ce sera plus simples. » Et c’est ainsi que je donnais ma confiance à Maria. Elle, au moins, elle ne me contredisait pas, elle m’écoutait avec attention, elle me donnait de l’intérêt. Et pour une fois je me sentais exister. Je lui avais confié mes craintes et ainsi, on avait établi des règles. Ne jamais se dévaloriser, arrêter de faire souffrir son corps, toujours garder la tête haute, ne jamais baisser les bras, toujours finir un projet entamé … Ce fut là le début de la fin de ce long carnage douloureux. Un programme de sport avait été mis en place, un traitement de médicaments ; en bref, tout était fait pour que je perde du poids, que je me délivre de mon mal être. En plus de ça, je n’étais pas toute seule à vivre cet entraînement intensif qui était devenu assez douloureux à vivre. Le sport, c’était nouveau et les médicaments avaient des effets radicaux. Ils étaient épuisants et j’avais du mal à m’y faire. Je me rappelai tout le temps que Maria voulait que je réussisse, elle me le répétait elle aussi tout le temps. En plus de tout ça, je suivais des cours. Ma scolarité était intégrée dans le centre ; au moins j’étais certaine de persévérer. Enchaîner mon dur traitement et des cours à côté, c’était loin d’être facile mais grâce à une équipe compétente, je prenais bien vite le fil. […] Trois ans s’étaient écoulés depuis mon entrée dans le centre. Je me souvenais de l’accueil chaleureux de la jolie Maria, de mes rencontres avec des personnes dans le même cas que moi, des moments durs passés ici. Et aujourd’hui, je passais ma dernière séance de psychologie avec Maria. C’était étrange de se dire ça, j’étais tellement habituée à lui faire mon compte rendu de chaque fin de journée. Elle était devenue comme une meilleure amie, celle à qui l’on se confie sans avoir peur d’avoir un regard jugeur posé sur soi, de parler librement et ouvertement. Cette femme, elle resterait mon modèle jusqu’à la fin de mes jours. «
Quel est ton souhait maintenant ? » «
Laisser l’ancienne Penny ici, je ne veux pas qu’elle quitte ce centre. »
Se sentir libre, c’était la meilleure sensation qu’il soit. Ce fut ainsi que je me sentais lors de ma sortie du centre. J’avais quinze ans, je me sentais belle –si ce n’est encore peu confiante de mon nouveau corps- et prête à recommencer une nouvelle vie. Mes parents étaient venus me chercher, simplement parce qu’ils avaient dû se sentir obligés. Je les considérais comme des inconnus durant la montée dans le véhicule. A me demander s’ils se rappelaient de moi. Aucune nouvelle mais comme on dit
pas de nouvelle, bonne nouvelle ! Le seul mot de mon père fut une vague réplique, que je prenais à moitié comme un reproche. Un
ah t’as maigris qui voulait tout dire. A regarder mes vieux, je voyais qu’ils ne vivaient pas dans le bonheur, leur joie ne crevait pas les yeux. Mais je m’en fichais, s’ils pouvaient souffrir comme j’avais pu moi-même souffrir. Le silence rongeait la voiture mais moi … je souriais, j’étais heureuse de vivre à nouveau. Ou … de vivre pour la première fois, de me sentir comme une réelle personne et non un souffre-douleur.«
PENNY ! » J’eu à peine le temps de poser un pied en dehors de l’automobile que Idriss me sautait dans les bras. «
Tu m’étrangles ! » Le seul à m’avoir soutenu durant mon long séjour au centre, à m’envoyer de nombreuses lettres chaque semaine (que je gardais précieusement dans un petit carton). Il était aujourd’hui dans mes bras. Il avait sacrément grandi, il était beau du haut de ses dix-sept ans. «
Tu m’as manqué. » Lui aussi, énormément. «
Tu es magnifique… » lançait-il en me faisant tournoyer sur moi-même. Le premier compliment de ma vie. Et il venait de mon frère, que j’aimais par-dessus tout. Il m’avait premièrement sauvé la vie, puis envoyé dans un centre pour me créer un nouveau moi. Et là, maintenant, il me comblait de bonheur. «
Merci Idriss. » Je me réfugiais dans ses bras, le serrant contre moi. J’avais peur qu’il m’échappe, peur de perdre la seule personne qui comptait à mes yeux, le seul qui avait son importance. Je n’étais rien sans lui. «
On ne se quitte plus ! » «
Plus jamais, promis. » Et les promesses étaient des promesses, que l’on tenait dur comme fer. Un an s’était écoulé, je ne comptais plus les années. J’avais intégré le lycée de la ville après mon retour, c’était étrange pour moi. Plus personne ne me regardait d’un mauvais œil, je n’étais plus la source d’attention que j’étais auparavant. Et je m’étais promise de ne plus penser ou parler de l’ancienne Penny. La nouveauté, c’était qu’Idriss avait eu dix-huit ans, c’est pourquoi nous avions quitté la maison. C’était préférable vu les relations que l’on entretenait avec les parents. Un joli appart ni trop grand ni trop petit, que tante Grace nous avait payé. La bonté de la famille, à croire qu’il y avait un peu de générosité parmi nous. Je reprenais confiance en moi, doucement mais surement. Sous les conseils de mon frère, je suivais un suivi avec une psychologue pour m’aider à reprendre la route. C’était aussi bien de se confier à une autre personne. Ce petit manège ne dura pas longtemps puisque j’avais pris une certaine assurance en moi, caractérisée par le soutien de mon frère.
Les amis, c'est ce qu'il y a de plus important dans la vie. Au début, je me fichais d'être entourée, de commencer une quelconque amitié avec quelqu'un. Autant dire que mon adhésion au centre n'avait rien facilité, je n'avais jamais eu de contact avec d'autres. Mais il avait suffit que je rencontre les bonnes personnes, celles qui me comprennent, celles qui ne me jugent pas … Sélénia, Elisha, Alisha, et Eileen. De vraies perles, des meilleures amies en or. Nous étions une petite bande inséparable, dès notre entrée au lycée. Pour moi c'était tout nouveau, avoir des amis, dépendre d'eux … Les filles avaient bien remarqué cela tout de suite mais ça nous avait rapproché au final : je leur avais raconté mon passé. Et une première promesse : ne jamais rien dire. […] «
Je vais t'écraser meuf ! T'inquiètes ! » gueulait Eileen dans l'appart à l'intention d'Elisha. Ce soir ? Soirée Just Dance, comme à chaque fois. La danse, c'était notre passion à toutes les cinq, mais ce jeu, c'était un sacré défouloir mine de rien. Moi j'avais fini par m'attabler en compagnie d'Alisha puis de Sélénia, bouffant le bol de fraises. Quoi de meilleur, sérieusement ? On regardait les meufs se dandinait sur un air connu,
Call Me Maybe, filmant par la même occasion. Il y en avait toujours une qui lâchait prise et qui finissait par faire la conne. Gagné pour Eileen, qui se mettait subitement à danser la macarena. Fou rire général en voyant sa tête de clown. Il n'en fallu par moins pour déclarer une soirée dansante, passant par une bataille de coussin. Au final, l'appart de mademoiselle Elisha avait fini dans un carnage, à croire que c'était Bagdad. Ouais, quand on était toutes les cinq, c'était forcément le foutoir général, rien de bien nouveau. Tout le monde le savait. Et les voisins aussi, qui subissaient très régulièrement la basse-cour. La mamie du dessus a beau nous menacer avec son petit index tout frité et tout tordu, nous, on écoute rien.
Mon corps, j’y avais pris goût. J’en étais fière désormais et je comptais en faire un atout. J’avais alors trouvé refuge dans le mannequinat, une agence que tenait mon frère. Ce fut extrêmement facile pour moi de m’y intégrer, le piston familial c’était le top ! Qui aurait qu’un jour la petite boule deviendrait l’une de ces mannequins filiformes à prendre la pose devant un objectif ou à défiler avec des tenues parfois osées ? La roue tournait, parfois. Et mon destin, il avait repris le droit chemin grâce à mon frère. S’il ne m’avait pas poussée à aller dans ce centre, je serai encore une p’tite boule de vingt-deux ans. «
De nouveaux mannequins vont faire leur arrivée aujourd’hui. Notamment celui avec qui tu vas travailler. » En plus d’être mannequin, j’avais souvent l’impression d’être l’assistante de mon frère. Surement parce qu’il m’informait de tout, que j’étais à ses côtés pour les recrutements ; en bref, j’avais mon importance. «
Pen’, je te présente Sinbad. Sinbad, Penny. » Très professionnelle, je préférais marquer quelques limites, me décidant à simplement lui serrer la main. Je n’avais encore jamais travaillé avec un mec, ni posé avec d’ailleurs. J’avais toujours refusé, suite à mon passé. C’était gênant pour moi, je me revoyais parfois avec mes rondeurs en trop. «
Salut. Ravi de travailler avec toi très prochainement. » Ouais bon, même si je ne l’avouais pas, Sinbad était un très beau garçon. Pas pour rien qu’il avait réussi le casting avec brillau ! Typé, brun ténébreux, assez grand, tatoué … C’était évident qu’il réussissait sans grand mal à se faire embaucher pour plusieurs contrats. «
Bon bah vous allez commencer maintenant, après quelques retouches par les maquilleuses, les coiffeuses et les stylistes ! » Même pas le temps de me préparer psychologiquement, mon frère abusait ! […] Le photoshoot s’était relativement bien passé, malgré que chaque touché entre lui et moi m’avait fait me sentir étrange. Des sortes de frissons ou je ne sais quoi, prouvant que son contact n’était pas désagréable. «
Bon alors ? On va se calculer seulement pendant les prises photos ? » Je le regardai, un peu troublée de sa question. Le mec, quoi … «
Euh, j’te demande pardon ? Tu viens d’arriver et tu me parles comme ça. » Ça n’allait pas le faire. Mais vraiment pas. En plus de me reluquer de haut en bas, il me parlait comme si j’étais sa future proie. Ouais, je l’imaginais parfaitement bien dans ce genre de mec : arrogant, dragueur, coureur de jupon … Les mecs de nos jours, en bref. «
Ne te fais pas d’idées Sinbad, ça sert à rien. » Je lui faisais un sourire, plus hypocrite qu’autre chose au final. J’aimais avoir le dernier mot, c’est ce qu’il fallait savoir mais Sinbad, il ne semblait pas avoir compris la leçon. «
Ah ouais ? Tu le prends comme ça ? Très bien ! » Je me retournai dans ma marche ; il arborait un sourire en coin, me faisant comprendre qu’il répondrait présent à chaque occasion qu’il aurait d’aller plus loin avec moi. «
On se voit bientôt ! » C’est ça … Quoi que je n’avais pas le choix. Il était mon mannequin assigné, celui avec lequel je devais travailler pour le projet de mon frère. Je ne pouvais pas refuser, ce serait le décevoir. Et puis bon, ce Sinbad, il ne m’impressionnait pas sous ses grands airs. Il était un mec comme les autres. Mais ce que je ne savais pas, c’est que j’étais tombée sous son charme dès cette première séance, sans même pouvoir y faire quelque chose. Et me l’avouer serait très dur.