tu l’entends ? bien sûr que tu l’entends. le murmure. le murmure assourdissant et permanent. il a envahit la ville et les esprits. il arpente les rues en hurlant. le murmure assourdissant et permanent, comme un bruit parasite à l’intérieur qui t’épuise, qui souffle à l’oreille de chacun « t’es mauvais, t’es bon à rien, tu seras jamais assez bien », qui te répète « t’es comme ça, ou tu devrais, ça changerait rien si tu changeais ». le murmure assourdissant et permanent qui espère te mettre à terre en te criant : « essaie pas de refaire l’histoire, t’y arriveras jamais c’est trop tard, c’est baisé, c’est imprimé dans les mémoires ». le murmure assourdissant et permanent qui te fait croire qu’y a pas de rédemption, pas de pardon. pas de rachat. pas de rémission. et tu l’acceptes. tu le laisses rentrer.

t'étais qu'une gamine. t'avais rien à voir dans cette histoire et pourtant tout ça, c'était à cause de toi. t'étais au centre de cette merde alors que t'en comprenais pas la moitié. tu savais pas, t'étais jeune. tu pouvais pas comprendre. tu pouvais pas. les histoires d'adultes, toutes ces merdes t'en voulais pas. t'étais qu'une gamine putain, tu savais rien de tout ça. t'étais jeune, trop jeune. rien n'était de ta faute. c'était à cause de lui, et d'elle. tout était à cause d'eux. irresponsables. juste deux grands gamins qui ne savaient pas ce qu'ils faisaient. juste deux enfants. comme toi.

ton père a lâché ta mère quand il a apprit qu'elle était enceinte. au fond, plutôt banale comme histoire. ta mère est ukrainienne. elle vient de ce genre de famille qui pense qu'un enfant sans père est un enfant du diable. t'es qu'une enfant du diable alors ? peut-être, mais t'en as rien à foutre. c'est un putain de défaut chez toi ; tu te fous de tout. rien n'a d'intérêt, rien n'a de valeur. y'aura toujours pire, toujours. t'essayes d'être détachée, ça fait moins mal de ne pas s'intéresser aux choses. tu peux pas être déçue quand t'en as rien à foutre de ce qu'il se passe autour de toi. quand ta mère a apprit à ses parents qu'elle était enceinte, ils l'ont foutu dehors. avec ce que t'as vécu, tu comprends encore moins comment des parents peuvent faire ça à leurs propres enfants. c'est dégueulasse. juste dégueulasse. alors elle s'est démerdée comme elle a pu, ta mère. comme une gosse de vingt-deux piges peut se démerder sans fric, sans taf. « maman t'aime mon bébé. maman t'aimera toujours. » elle t'aimait ta mère, putain elle t'aimait. plus que tout. t'étais son bébé, son trophée. t'étais à elle. la plus belle chose qu'elle ait faite dans sa vie. et c'est parce qu'elle t'aimait tellement, parce que t'étais la chose la plus importante dans sa vie qu'elle t'a laissée. parce qu'elle voulait que t'ais une belle vie, que tu ne manques jamais de rien. elle ne pouvait rien t'offrir à part son amour. elle pensait que ce n'était pas une vie pour toi, que tu méritais bien mieux. que tu méritait l'univers, tout l'or sur terre. elle voulait ce qu'il y avait de meilleur pour toi, parce qu'à ses yeux t'étais unique. t'étais parfaite. tu devais avoir tout ce que tu voulais. alors ouais, elle t'a laissée. et des inconnus t'ont recueillis. tu savais rien d'eux, t'étais perdue, paumée. tu voulais ta mère parce qu'elle t'aimait. t'avais peur, tu savais pas quoi faire. mais t'étais qu'une gamine, qu'une gosse, alors t'as juste chialé. « ta nouvelle maman t'aime mon bébé. ta nouvelle maman t'aimera toujours. » tu n'en voulais pas de son amour. mais elle ne le saura jamais.

tu me brûles ! tu me brûles trop ! avec tous les autres aussi, qui me brûlent beaucoup trop fort ! moi ça m’fout des cicatrices moi. j’suis là. j’suis prêt à tout. j’suis prêt à aller en enfer, j’te porte sur mon dos. j’me prends des beignes regarde, j’me prends des beignes. et toi t’es assis. tu plantes ton derche ! tu refuses de sortir de ta cellule. mais tu vois pas qu’y a besoin de toi ? tu vois pas que si tu fais rien.. tu sers à rien ? ça va continuer combien de temps comme ça ? tu vas rester à côté des rails ? comme une vache, qui regarde le train ? jusqu'à ce que t’en puisses plus ou… qu’on t’mettre dans une boîte en bois ? arrête de sourire ! ce sourire là, qui pue l’échec ! allez rend moi ce sourire papa. .. mais d’un autre côté t’as raison. c’est tellement plus facile de sourire, plutôt que d’être heureux.

ils puaient le fric tes nouveaux parents. t'en voulais pas de leur argent. t'en as jamais voulu. t'avais appris à les apprécier. ils étaient pas méchants au fond, tu savais qu'ils t'aimaient, qu'ils voulait tout te donner. mais tu voulais rien. tu voulais y arriver seule, t'avais pas besoin d'eux. tu voulais pas avoir besoin d'eux. jamais. ta nouvelle sœur était une connasse. la pire connasse que t'aies connu. garce. jalouse. elle n'avait jamais pu comprendre que ses parents aient adopté une nouvelle fille. ils l'avaient déjà elle, elle qui se pensait parfaite, elle qui voulait que le monde soit à ses pieds. elle ne t'aimait pas. elle ne t'a jamais aimé. avec elle, tu ne te sentais pas acceptée. elle était toujours là pour te rappeler que tu n'étais qu'un jouet, un amusement, un truc nouveau que ses parents avaient ramené pour vaincre l'ennui. tu ne la comprenais pas. tu ne la comprendras jamais. pourquoi ? pourquoi était-elle contre toi ? toi qui n'avais jamais voulu être là, toi qui n'avais jamais voulu de cette vie. quand t'as annoncé à celle qui essayait de remplacer ta mère que justement, tu voulais la retrouver ta mère, et puis aussi ton père pourquoi pas, on pourrait dire qu'elle l'a plutôt mal pris. à tel point qu'elle t'a foutu à la porte. t'avais ton appart, mais t'étais seule. plus seule que jamais. t'étais pas habituée à ça. y'avait toujours quelqu'un pour toi. toujours. mais plus maintenant. nan, tu devais te démerder. alors c'est ce que t'as fait ; tu t'es démerdée.

paris, paris la nécropole, paris qui sent la carne, paris qui petit à petit entraîne dans sa chute des fragments de nos vies. paris c'est tellement sain, et nous sommes des gens biens, tellement biens qu'on est trop bien pour nos voisins, auxquels on prête pas plus d'attention qu'à la pisse derrière la cuvette des chiottes. parfois j'ai juste envie de hurler « t'approche pas de moi, t'approche pas de moi, me touche pas, me touche pas, t'approche pas de moi ! » docteur, il me faut un truc, n'importe quoi, sinon je vais craquer, je risque de cogner une vieille, un passant, un mioche. et ce sera moche, ce sera vraiment moche.

t'es paumée ouais. putain, qu'est-ce que tu l'es. ça te fais peur d'être perdue, de pas savoir quoi faire, de pas être posée, de pas être stable. t'as jamais été stable mais merde, t'avais des bases. là rien. t'es plus seule que jamais, t'as aucune attache, aucun point de repère. t'es qu'une enfant qu'a peur du noir, mais t'as personne pour te consoler. t'es comme une tartine sans nutella, un café sans sucre, des pâtes sans ketchup, un joint sans toncar. tu rimes à rien. tu fais ta vie, tu t'occupes pas des autres. tu veux pas t'en occuper, tu veux pas t'attacher, tu veux plus, tu peux plus. t'en as marre, t'as trop souffert à cause des autres. c'est fini tout ça. terminé. tu regardes les autres, tu t'en approches pas. t'es sans attaches ouais. t'as des besoins, comme tout le monde alors tu couches, tu baises ouais, puis tu t'casses. tu restes jamais. tu peux pas, t'as pas l'droit. t'as aucun avenir, tu le sais bien ça. mais tu fais avec. tu vis ta vie. t'embête personne, ça sert à rien.