L'HISTOIRE
« Certaines blessures ne sont ni réversibles, ni réparables. »
Les sept premières années de ma vie, mes parents et moi vécurent dans un immeuble aux briques oranges, dans un village du sud de la France. Notre T2 était infestés de cafard en dépit de la tonne de bombe RAID utilisées par mon père pour en venir à bout. Nous dormions dans ce gigantesque lit car j'avais sans cesse des cauchemars, dormir seul me terrifiait et aussi car le canapé n'était pas très confortable. Maman avait ce regard perdu, comme une biche qui savait qu'elle allait finir dans l'assiette. D'aussi loin que je me souvienne, je n'ai jamais vu maman sourire. Papa détestait sa vie, son boulot d'homme d'entretien, les jeunes qui peinturlurait le mur du couloir, le chat de la voisine, les locataires du dessus qui faisait trop de bruit en faisant l'amour, et dans le fond, il nous haïssait surement aussi moi et maman. Moi, je comptais les cafard sur le sol, je contemplait les graffitis sur le mur et j'aidais maman à préparer à manger. Puis Papa parti, prétextant un achat de cadeau pour maman, il n'est jamais revenu, une petite inexactitude économise parfois une tonne d'explications. Maman pleura pendant des mois.
Une grande bâtisse, une fontaine au milieu du jardin, des domestiques, fasciné par les éléments du décors, que je me vautrais dans l'escalier. Alors on va vivre ici maman, le changement est radical. En haut, une porte en bois, à cette époque je ne le savais pas encore mais ce havre de paix aura été durant longtemps un endroit où je me sentais en sécurité. Jamais je n'avais été habitué à l'opulence, et je compris bien plus tard que ma mère n'avait pas choisi cet homme au hasard. Margot entra dans ma vie ce jour là, avec sa robe trop grande pour elle et son air pimbêche, elle arqua un sourcil avant de lancer :
« je t'interdis de rentrer dans ma chambre le nabot, pas aujourd'hui, ni demain, ni jamais. Ou je t'écraserais comme la vermine que tu es. » Philippe passa derrière elle et asséna un coup ardent au creux de sa nuque. Ça aurait surement du me mettre la puce à l'oreille ce jour là.
Personne n'est parfait, la fatalité nous incombe à tous quelques vices, certains plus forts que d'autres. C'était un mardi pluvieux, une atmosphère de mélancolie régnait à la maison, maman était parti faire des courses pour le diner et nous étions plantés devant la télé depuis quelques heures avec Margot. Les pâles cils de ma soeur se fermèrent devant le navet qui passait. La porte d'entrée claqua, Philippe avait du retourner au boulot pour quelques heures supplémentaires.
« qu'est ce que vous foutez là ? vous avez pas mieux à faire que vous abrutir devant la télé ? » Margot se réveilla en sursaut, le visage déformé par la crainte. Perplexe, je regardais mon beau père s'approcher dangereusement de sa fille. Instinct ? Fatalité ? Je me plantais devant la fillette apeurée, plutôt petit et chétif, je ne faisait pas le poids face à l'imposant tyran. Il porta sa main à mon visage avec violence que mon corps vola pour retomber durement sur le sol. Margot s'était réfugiée sous la table en tant que témoin immobile de la scène. Je ne lui en voulait pas, au contraire, les traits sur son visages laissait voir une peur primale, ce n'était pas la première fois que ce genre de scène avait lieu.
Une nuit, des hurlements me réveillèrent, je me glissai hors de ma chambre, naviguant dans les couloirs comme une âme en peine. J'avais grandi trop vite, la vie m'avait forcé à gagné en maturité et affrontés des obstacles beaucoup trop lourd pour un enfant de dix ans. Lorsque les coups portés par le despote étaient trop forts, maman disait toujours : il se cogne partout, il est d'une maladresse. Je n'étais qu'un enfant et ma propre mère se rendait aveugle pour savourer sa vie de riche épouse. La lueur de la veilleuse laissait entrevoir une lumière bleuâtre sur le visage de maman et Philippe. Il leva la main, comme pour la frapper, à toutes allures, je descendis l'escalier pour m'interposer.
« retourne te coucher mon amour. Tout va bien. » je secouais la tête négativement, fixant l'homme du regard, ma peluche vieilli à la main. Avec une violence féroce, il ouvrit son point et le planta dans le ventre de ma mère, lui coupant le souffle.
« non ! ne lui fais pas de mal ! » Ma mère, courbée en deux, me regarda tendrement , pris ma main et me raccompagna jusqu'à ma chambre.
« parfois, il ne se contrôle pas tu sais. dors maintenant. » fit elle, la main sur le ventre. Ce jour là, je me rendis compte qu'elle était sincèrement amoureuse de cet homme. Une abomination que je n'ai jamais compris. Enfant, je me réfugiait dans la chambre de Margot et bouchait mes oreilles très très fort jusqu'à ce que les cris s'achèvent depuis ce jour.
Maman est morte l'année de mes onze ans, d'un cancer du sein. Elle n'a même pas chercher à se battre, peut être voulait elle s'évader de cette vie misérable. Plus je grandissais, plus Philippe lui vieillissait. Ce ne fut pas facile de convaincre Margot de fuir avec moi, il n'était pas question que je la laisse aux mains de ce tortionnaire mais son lien de sang avec l'homme en question l'empêchait de voir les choses clairement. Elle l'aimait, malgré ces coups, ces brûlures de cigarettes, ces cicatrices immuables. Elle aimait son père. Alors avais je d'autre choix ? Le pistolet fut le plus simple, m'en procurer un ne me pris qu'une semaine. Lui tirer une balle dans la tête fut la tâche la plus osée et difficile que j'ai eut à faire dans ma maigre vie. Une fois que l'on a assassiné quelqu'un de sang froid, plus rien n'est jamais pareil. Et pourtant, je l'ai regardé dans les yeux, j'ai vu la peur grimper dans son regard, je l'ai laissé me supplier, implorer son pardon, implacable, j'ai souri et pressé la détente avec une pointe de soulagement. Comme si une fois sorti de ma vie, mes problèmes allaient être réglés. Les adieux ne devraient pas être positifs, la mort d'un être devrait être suivi d'une phase de dépression pour les gens qui l'entourent, alors pourquoi ce soulagement ? Je m'étais senti si inutile, si persécuté toute mon enfance, il me l'avait arraché, alors je lui avait arraché la seule chose à laquelle il tenait : la vie.
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« Il ne faut pas trop se protéger, sinon on ne ressent plus rien. »
Changement de décors, je deviens Erwann Perrin et Margot se transforme en Inès Perrin. James ne s’est jamais rendu compte, et ne sera certainement jamais conscient du fait que le tournant ainsi pris par notre relation était la pire chose qui aurait pu arriver, suite au décès de mon beau père. J’ai réussi à me convaincre qu’elle n’avait absolument pas besoin de moi comme d’un frère. Après tout, je m’étais conduit de manière impardonnable. Elle n'avait même plus le cran de croiser mon propre regard. C'est amusant comme les gens disent que le temps guérit tout, certaines cicatrices vous percent à jamais, immuables, irréversibles. Le temps nous avait éloignés elle et moi, pas d’événement majeur, de disputes houleuse, elle avait décidé de me dire adieu le jour de l’enterrement de Philippe quand j'y repense. Je ne l'avais poursuivi, prenant comme punition impitoyable sa disparition dans ma vie. Me repentir de mes pêchés, dieu avait retiré la seule personne vivante pour qui j’éprouvai un peu d'amour. Je ne m'en étais pas rendu compte mais mon cœur s'était refermé petit à petit au cours de ses années.
Elle s'accroche à moi, ses jambes enveloppent négligemment mon corps frêle sous ses mains habiles. Mon corps tout entier frisonne. Ses lèvres atteignent les miennes. C'est un baiser caressant qui devient presque morsure. Je la regarde, souri et repousse une mèche de cheveux de son visage. Je ne le sait pas encore, mais je suis en train de tomber amoureux. Les battements de mon coeur s’accélèrent et le bleu de ses yeux m'envoutent. J'avais fait l'amour avec un nombre incalculable de filles, aucune n'avait réussi à éveillé un soupçons d'amour en moi, je ne faisais que les culbuter comme de vulgaires prostitués. La chaleur de son être me transcendait. Avec elle, je découvrais la passion, la tendresse, que je pouvais encore éprouver de l'affection. Allongé à ses côtés, elle était la première que je ne voulais pas voir partir.
« tu m'expliqueras un jour ? » interloqué, mon regard s'accrocha au sien.
« cette lueur de tristesse dans tes yeux ? » sa phrase m'arrache un léger sourire. Rien que le fait qu'elle remarque un détail si insignifiant m'attendris et m'oblige à ressentir des choses inconnues jusque là.
« un jour, peut être. »Deux années, elle n'aurait du faire que passer et nous étions ensemble depuis deux années, nous vivions même ensemble. En la regardant rire et fredonner de vieilles chansons, sa guitare à la main. Je l'observe en silence, songeant à quel point je peux être chanceux qu'elle m’ait choisi. Moi, handicapé des sentiment, froid et distant, incapable de lui dire ces mots qu'elle rêverait d'entendre. Elle s'approcha doucement, posa sa main au creux de mon cou et avec la lenteur d'une caresse, déposa un baiser sur mes lèvres. Sa bouche était fraîche et sucrée. Elle m'aimait aussi, à croire qu'elle était masochiste puisque plus je la faisais souffrir par mon manque de témoignages de mon amour, plus elle m'aimait. Dans le fond, elle devait y trouver son compte.
« tu tiens à moi ? » arquant un sourcil, je lui caressais délicatement le visage. Tout le monde la croit forte, solide et bien dans sa tête, mais cette image, c'est juste pour donner le change. Dans le fond, c'est enfant en manque d'attention.
« parce que moi, je me ne suis jamais sentie aussi bien avec un homme de toute ma vie. Je pensais que l'on ne pouvait pas cumuler passion et tendresse. Tu es le seul qui a vu en moi autre chose qu'une fille bonne à baiser. Tu es surement trop stupide pour te rendre compte que je suis folle de toi. » un mouvement de recul imperceptible se produit chez moi. Attentif à ses paroles, je l'écoute en silence.
« Le truc Erwann, c'est qu'avec toi, je sais jamais si tu m'aimes ou si tu te sers de moi. Juste une fois, je voudrais l'entendre. Je ne te demandes pas de me faire une demande en mariage, ou même une grande déclaration de celle que l'on voit dans les films. Juste trois mots. » mon visage se fronce, je réalise sa douleur et la peine que je provoque chez elle. Jamais je n'avais songé aux effets ravageurs de mon comportement sur elle. Deux choix s'offraient à moi, je prononçais ses mots, la rassurant et notre train train reprendrait ou je choisissais de taire mes sentiments pour elle. Je n'étais même pas capable de lui confesser mon amour et j'étais aujourd'hui persuadé que jamais elle ne serait heureuse et épanouie à mes côtés. Alors j'ai pris la decision la plus difficile de ma vie : la laisser partir.
« je... » Les yeux humides, elle prend sa valise. Elle sait qu’elle n’oubliera jamais rien de moi, ni la forme de ses mains, ni le goût de sa peau, ni l’intensité de son regard. Elle réalise aussi qu'elle n'aura jamais de réponse à cette question restée en suspend le premier soir. Elle m'aime, j'avais débarqué dans sa vie à l'improviste et l'avait piller de tout son amour comme un charlatan vous prendrais votre argent. Elle part, sa chevelure brune la suit harmonieusement, avec elle s'en va tout mes espoirs d'une vie heureuse. Égoïstement, j'aurais aimé qu'elle reste sans demander plus, seulement je savais pertinemment qu'elle serait plus accomplie sans moi. Mon âme s'arrache à moi pour ne pas appeler son nom. J'avais envie de hurler ma peine. Elle m'avait percuté de plein fouet et sans elle la vie n'avait plus le même sens. Parfois, c’est ça aussi l’amour : laisser partir ceux qu’on aime.
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« Pour être heureux, je pense qu'il faut avoir souffert auparavant. »
Audrey entre dans ma vie à l'improviste. Cet enfant de seize ans rejoins mon existence sans que je puisse rien y faire. Margot, elle m'avait choisi, moi, pour m'occuper de sa fille en cas de décès. J'avouais ne pas saisir son choix, j'étais la dernière personne sur terre à qui j'aurais confier une adolescente qui venait de perdre sa mère. Trop jeune, trop chétive et immature pour gérer ça de façon cohérente et adulte. La perte de ma soeur m'avait atteint d'une façon étrange, peut être que l'on finit par s'habituer à la souffrance et que l'on ferme son cœur aux différents sentiments possibles. Je ne pouvais pas me permettre de pleurer, ou même de sombrer dans le désespoir. Mon nouveau statut de père venait avec des tâches et des devoirs.
« un coup de main pour ranger tes affaires ? » je frappas un coup à la porte de ma nièce. J'avais tout à apprendre et j’espérais qu'elle m'aiderait. Le vieux bureau était devenu en quelque chose une chambre typique d'adolescente, des posters au mur, un large mirroir, et des bijoux éparpillés sur une commode. Mon regard s'attarda sur une photo des parents d'Audrey, Margot avait l'air si heureuse, elle avait réussi à passer outre ce tumultueux passé et s'était reconstruite.
« non » lança t-elle froidement avant de m'évincer du tableau et me guider vers la porte. Peut être qu'elle n'allait pas m'aider finalement.
« tu n'es pas mon père ok ! » un éternel recommencement, elle avait une fois de plus dépassé le couvre feu imposé par la maison. J'avais lu des tonnes de bouquins, mais personne ne vous apprend comment être un bon père. L'adolescente en colère me faisait vivre un enfer depuis son arrivée, non seulement elle dédaignait tout ce qui composait ma vie, mais en plus, elle ne respectait rien.
« tes parents sont peut être mort, mais ça ne te donne pas le droit de te comporter comme une enfant puérile ! Ta mère n'aurait pas aimé te voir comme ça. » une gifle écrasa ma joue sans que je n’eus le temps de dire ouf. J'y avais surement été un peu fort et je méritais amplement cet acte de violence, de plus, ce n'est pas avec ces minettes qu'elle me blesserait.
« tu sais pas qui elle est, t'étais là ses quinze dernières années ? » de chaudes larmes coulaient sur ses joues. Elle prit l'escalier à toute allure et s'enferma dans sa chambre. Tous les matins, je me réveillais avec une peur terrible : celle de ne pas savoir comment élevée Audrey dans ce monde cruel. Arrivé devant sa chambre, je frappais et rejoignis la belle sur son lit. Au sol, la photo de ses parents déchirés en morceaux. On fixe un moment heureux pour l'éternité lorsque l'on prend une photo. Le problème, c'est que ce n'est qu'une image, un instant de nostalgie.
« à moi aussi elle me manque atrocement. La douleur fini par s'estomper tu sais. » Mensonge par omission car j'oubliais de lui dire que cela prenais un temps fou. Prenant la jeune femme dans mes bras, je lui offrais un baiser délicat sur le front.
« On a reçu ça par la poste, je ne savais pas que tu avais des amis. » hilarante cette petite, je pris l’enveloppe qu'elle me tendait. Mon visage se décomposa, passant d'un teint halé à un blanc neige. Je sais que dans la vie rien n'est jamais acquis, que rien n'est jamais promis.
« un faire part ? » elle arracha le bout de papier, je n'étais plus qu'un pantin malhabile, prêt à s'effondrer au sol à tout instant. Il y a toujours un moment dans nos vies où l'on se demande : se je pouvais revenir en arrière, je changerais quoi ? Il est vrai que ma vie aurait prit un tournant totalement différent si j'avais eu le courage de lui ouvrir mon cœur. Mon corps se jeta négligemment sur la chaise la plus proche. Alors même après cinq longues années, elle avait encore le pouvoir de m'atteindre. J'avais souvent pensé toucher le fond, persuadé que je ne pourrais pas tomber plus bas. Le fond est bien plus profond que ce que l'on imagine.
HORS JEU ▹
GROUPE : molière ▹
AVATAR : Joseph Gordon Levitt ▹
SCENARIO ou PERSONNAGE INVENTE : inventé ▹
PSEUDO/PRENOM : sansnomfixe ▹
ÂGE : 22ans ▹
OU AVEZ VOUS CONNU LE FORUM? : PRD ▹
PRESENCE : 4j/7