Ton corps fend les flots. Une coulée après l'autre, une longueur après l'autre. Tu ne te lasses pas, tu n'as de cesse de nager, c'est tout ce qui te permet de respirer. Parce que t'as l'impression d'étouffer, y'a qu'ici que tu peux respirer. Tu nages encore et encore jusqu'à en avoir mal partout, qu'importe que tu te noies de fatigue ici parce que tu te noies dans ta vie. Tout ce que t'as toujours cru, tous ceux en qui t'as toujours cru n'est qu'un putain de mensonge, ta vie n'est qu'un amas de connerie, on t'a menti et tu peux pas le gérer.

Tu sors de l'eau gelé, elle était froide mais c'est que maintenant que tu grelottes, maintenant que tu t'écroules sur le sable. Tu fixes le ciel et tu respires comme tu peux. Respires. Respires. Pleures pas. Respires. Tu te sens conne, tu te sens idiote. Tes mains se ferment en poings rageurs sur le sable. Même dans ton élément tu te sens plus à l'aise. Ils t'ont tout pris, tout. Ils t'ont dépouillés, et tu pourras jamais leur pardonner. Alors tu fixes ton regard sur les nuages parce que t'arrives pas à fermer les yeux, et tu penses. Tu penses à tous ces petits bouts d'enfance qui s'accrochent à ton esprit, à peine des souvenirs sinon des sensations, des bruits, des odeurs... Les nuits passés à dormir à la belle étoile sur le bateau avec ton père, ta première baignade, la première fois que tu as gagné une compétition, les vacances ratés en Italie... Tellement de choses, tellement de sensations, tout ça fondé sur des mensonges.

Tu n'avais tenu qu'à un coup de pute du destin, on peut pas appeler ça autrement. Le tout soupoudré d'une bonne dose d'omition - le pire des mensonges si vous voulez mon avis - et le tout couronné par beaucoup beaucoup de fric. Ca avait commencé quand ta mère était tombée malade, y'a 3 ans. Tu rentrais en terminale, pleine de ton assurance de gosse qui connait rien à la vie, pleine de ton innocence que ton frère prenait bien soin d'entretenir même à distance. Mam était fatiguée, on avait cru à un rhume, au surmenage, à une connerie dans le genre. Après tout, elle donnait beaucoup pour le resto et la boutique. Elle avait pas une minute à elle. Puis têtue comme elle est - tu peux toujours parler - elle a pas voulu écouter, elle a pas voulu levé le pied, elle a pas voulu consulté. Puis un malaise, direct à l'hosto et le verdict qui tombe, un mot qui s'imprime dans la chair de tout le monde: cancer. Un bilan: elle en a plus pour longtemps. C'était sans compte sur ta mère et sa facheuse manie à faire mentir tout le monde. Elle a tenu trois ans. 3 ans à la voir souffrir en silence. 3 ans sans rien pouvoir faire. Toi t'étais qu'une gamine. T'avais les cours, la natation et le commerce à gérer. Ton frère était loin, il pouvait pas rentrer le fils prodigue, il devait continuer ses belles études de médecine. Et ton père il a pris l'eau, il a bu la tasse; ironique pour un marin, un breton pur souche. Ils pouvaient pas gérer ta mère, le resto, le commerce, c'était trop pour lui, il a sombré et il a entrainé tout le monde avec.

Et l'autre s'est pointé comme un bon Saint Maritain, avec son oseille et ses costards de luxe. Il a dis que c'était un vieil ami de tes parents, tu l'as cru. C'était vrai. Mais c'était la première pierre branlante de ce petit d'édifice. Il a proposé de payer pour que Maman puisse partir en paix, de payer pour que tu puisses partir en paix. Ce qu'il voulait ? Eliminer subtilement la concurrence. Ta mère s'était pas dure, elle attendait plus que ça je crois. Mais ton père... tu croyais pas qu'il te troquerait contre un resto. Vous devez prendre ce bienfaiteur pour un macro, un gros dégueu qui assouvit sa libido avec des filles à peine majeure, mais c'est pas ça. Non c'est pire que ça. C'était le meilleur ami de tes parents quand ils étudiaient encore à Paris. Ils ont pas dis que c'était en partie à cause de lui qu'ils s'étaient tirés en Bretagne, là où ton père avait grandi. C'est parce que leur relation à tous les trois étaient malsaines, que si ta mère était fiancée à ton père, les limites étaient pas claires. Elles auraient du, vu que ton frère était déjà né à l'époque. Mais il a fallu qu'elle couche avec ce type. Drôle de coïncidence que tu sois née huit mois après. Drôle de coïncidence qu'il réapparaisse 20 ans après pour te balancer ça dans la gueule. Et ton couillon de père a pas jugé bon de te garder, il a préféré éponger ses dettes et te bazarder parce que "tu comprends, c'est moi dur de garder le resto que de te garder toi." Pauvre con. Pauvre connard d'égoïste. Et c'est ce mec qui t'avait élevée.. Des larmes rageuses coulent sur tes joues. T'es en train de tout perdre. Paris c'était ton rêve mais en voilà le prix. Le fric vient toujours avec une bonne claque dans ta gueule. Tu devais faire une croix sur toute ta vie d'avant. Y compris ton frère. Pour toujours. Pourquoi est-ce que c'était si dur de tourner le dos à des mensonges ? Voilà, tu chiales comme une gamine..

ҨҨҨ

Tu lèves les yeux vers lui et tu vois qu'il t'observe à travers la fumée de sa clope. Même malgré ce truc qui pue le cancer, tu peux sentir l'odeur de son parfum. Tu soupires, il sourit. Ce que ce mec pouvait être con quand il voulait, c'était démentiel. Un potentiel pareil, ça devrait pas exister. Et voilà qu'il en remettait une couche.

« Alors quoi, on a encore cherché des noises à Papa Arnault ? »
« Boucle-là, Oscar. »
« Je traduis: il t'a trainé à un dîner, t'as piqué une colère devant les investisseurs et la presse se gosse encore de lui ? »

T'as l'ombre d'un sourire mais tu te reprends vite. Ce mec t'agace autant qu'il t'attire mais tu peux pas nier une chose: il arrive à te percer à jour comme personne, ça fout les jetons. Tu hausses les épaules comme tu le fais si bien, et tellement plus encore maintenant que t'habites dans le 16ème. Tes caprices ont au moins un motif: t'es friquée donc tu peux te le permettre.

« Je peux savoir pourquoi tu traînes ton derrière ici ? T'as pas mieux à faire. »
« J'essaie de tisser de bon lien avec Papa Arnault. »
« Quoi, ta mère espère encore que ce soit toi qui hérite de LVMH ? Mais je croyais que c'était clair: s'il est venu me chercher, c'était pour être sûr que toi t'aies pas un copec mon gars. T'es déjà cuit. »

Un sourire démoniaque étire tes lèvres. C'est pas sympas mais c'est la vérité, t'as appris à la prendre comme elle venait. Oscar pose un regard étrange sur toi. Il t'observe un moment en silence avant de lâcher.

« Sauf si on se marie. »

Attendez, il est sérieux ? Tu sais pas s'il est sérieux mais il a l'air tellement sérieux. C'est là qu'il est le plus dangereux, quand il arrête de déconner, quand il pose son regard de prédateur sur toi. Ce mec te déstabilise, tu sais jamais comment le prendre. En guise de réponse tu lui montre ton majeur de manière très éloquente en lui disant d'aller se faire foutre puis, enfin, tu quittes l'appart en claquant la porte derrière toi.