L'HISTOIRE
« Et mes rêves s'accrochent à tes phalanges. »
LES QUINZE CHEVAUX NOIRSIls étaient quinze. Quinze chevaux noirs. Noirs charbons. À travers mes yeux admiratifs, je les regardais passer dans les rues de Paris une fois par an, et ce depuis ma naissance. Jamais un cheval blanc. Mais ils me fascinaient tout autant. Peu à peu, je grandissais. Mais en été, toujours dans la même période, je courrais dans la rue pour les voir passer. Parfois, j'osais les suivre. Ils m'impressionnaient. Énormément. J'avais quinze ans quand j'ai osé les suivre.
Ce qu'il faut savoir, avant de me traiter de gosse indigne qui a fait de la peine à ses adorables parents, c'est que dans mon histoire, y avait pas vraiment d'adorables parents. Je n'ai jamais connu mon père, que ma mère disait être "une erreur dans ma jeunesse", faut dire qu'elle m'avait eu quand elle n'avait que dix-sept ans, pendant une soirée en boîte. Autant dire que j'étais pas vraiment voulu et que son absence constante à la maison – excusée par des "j'ai un travail qui me prend du temps" futiles – me l'a assez fait comprendre. J'avais le loisir d'apprendre à être indépendant depuis tout petit. Puis faut dire que j'étais drôlement curieux et quand, pendant mes années collège, mes amis écoutaient "M Pokora" ou "Fatal Bazooka", j'écoutais plutôt du Vivaldi. On n'avait pas les mêmes valeurs, même si j'marchais dans Paris comme n'importe qui. Bref. Revenons à nos moutons.
Souvenez-vous, ça n'était pas des moutons. Mais des chevaux.
Ils appartenaient à un cirque, je le savais. Et ce jour-là, âgé de quinze petits étés, je les ai suivi en choisissant de ne pas rentrer chez moi ce soir.
L'ATTRACTION DU VIDEJ'ai été pris direct. Ma mère ? Elle a donné son accord, oui, même si les saltimbanques, eux, se fichent bien des lois. Sans doute est-ce avec eux que j'ai appris à renier toute autorité, à devenir si rebelle contre ce qui m'entourait pour écrire moi-même mon propre monde, avec ses propres règles, de la force de mon imaginaire et de ma volonté. Grâce à eux aussi, parcourant le monde sans attaches, en ne restant pas plus que quelques semaines par ville, par pays, que j'ai appris à parler tant de langues.
On aurait pu me dire "tu vas t'occuper des chevaux !" (ils me fascinaient toujours autant mais je n'osais monter sur leur dos) ou bien "tu seras bon qu'à nettoyer les litières des girafes". Mais non.
Il faut dire qu'en fait, j'étais doué. En fait, j'étais fais pour ça.
Pour marcher sur un fil. Je n'avais pas peur du vide et cette inconscience faisait ma force dans le rôle qu'on m'avait attribué dans la troupe : celui de funambule.
Je l'ai exercé pendant cinq ans. Sans une chute, sans un faux pas, sans une fausse note. Mais on le sait bien, hein. Faut toujours une ombre au tableau noir.
Pas de parcours sans faute. Jamais.
Et pour une fois, j'étais pas une exception à la règle.
ET LES FLAMMES LÉCHÈRENT LE CIELUne représentation comme une autre. On était à Varsovie, en Pologne.
Le succès, vous connaissez ?
J'avais vingt ans, et ma vie était telle que je l'avais toujours rêvée : inconnue, incertaine, imprévisible, pleine de surprise et de ce danger qui me collait désormais à la peau.
Je ne me souviens même plus comment c'est arrivé. Accident ou volontairement, aucune idée et peu d'importance au fond.
J'ai vu les flammes s'élever quand j'étais au milieu du fil. Nulle issue. Les rougeoiements léchaient déjà les poteaux qui me soutenaient. Au sol, les gens hurlaient. Dans la panique, ils essayaient de sortir du chapiteau avec précipitation.
Moi, j'étais calme. Je savais que personne n'allait mourir, ils étaient au sol, ils étaient protégés, ils allaient survivre. Sauf une personne. Moi.
J'ai fermé les yeux et j'ai attendu que le premier poteau s'écroule sous les brûlures que lui infligeait le feu qui avait pris; et j'ai senti le vide m'avaler.
BACK TO PARISAh, Paris. La belle, la vermine, la délicieuse, la sauvage.
Quand j'ai ouvert les yeux, j'étais de retour ici. Fracture de plusieurs os dans les jambes. Une brûlure à 30 degrés. Cinq jours de coma. Un simple mot par mes amis saltimbanques : "On peut plus attendre à Paris, faut qu'on fasse un show à Rome demain, et le médecin a dit que tu pourrais plus reprendre le risque de faire funambule, donc on n'avait pas le choix. Prend soin de toi, Gaëtan."
Une bombe. Voilà ce qui me tombait dessus. Toute ma vie s'écroulait, là, sous mes yeux. Apparemment, quelque chose avait perturbé mon équilibre interne. Je ne saurais plus tenir en équilibre sur un fil sans chuter. Il était donc hors de question de refaire ça.
Mais je ne savais faire que ça. Je n'avais pas fait d'études, moi, bordel, j'avais vécu dans un putain de train, dans des putains de conditions de merde, mais avec un putain de bonheur quand même. Et on m'avait retiré tout ça.
Fallait bien survivre ; j'enchaînai les petits boulots.
Fallait bien se débrouiller ; plutôt crever que de retourner chez ma mère.
Fallait bien continuer de vivre ; je sombrai alors dans les pires vices que m'offrait cette utopique idylle.
Fallait bien rester ; malgré que la belle Paris me condamnait à errer dans ses impasses comme un étranger.
HORS JEU ▹
GROUPE : serge gainsbourg. ▹
AVATAR : marcus hedbrandh. ▹
SCENARIO ou PERSONNAGE INVENTE : inventé ! ▹
PSEUDO/PRENOM : belladone./manon. ▹
ÂGE : dix-neuf ans. ▹
OU AVEZ VOUS CONNU LE FORUM? : bazzart.
▹
PRESENCE : quasi-quotidienne, selon les lois de la fac et de ses examens.