L'HISTOIRE
« La bombe humaine, c'est l'arme de demain enfantée du monde elle en sera la fin. La bombe humaine, c'est toi elle t'appartient si tu laisses quelqu'un prendre en main ton destin c'est la fin »

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Louison c'est la gamine de la rue, l'enfant sauvage, l'indomptée. C'est la gamine de Paris, l'enfant de Montmartre, la petite de Notre Dame. Louison, elle n'est pas née dans les beaux quartiers, ceux-là elle ne les a toujours qu'imaginé dans ses rêves les plus fous, ses rêves où elles pouvaient porter des robes à plus de cinq chiffres, où les hommes se précipitaient à ses pieds. Ses rêves où elle chantait, elle dansait, elle riait, elle vivait au rythme de l'élite parisienne. Elle reste plantée là, assise face au Sacré Cœur, des rêves plein les pensées et la tête ailleurs. Mais la réalité n'est jamais bien loin, et quand elle surgit c'est violent, c'est brusque. La réalité n'est pas douce, elle ne prend pas en pitié. Alors c'est la claque, violente, c'est la chute à terre et les bleus sur les genoux. C'est les yeux qui pleurent et la joue qui rougit. C'est le père, encore ivre mort qui la traîne et la ramène à la maison celui-là même qui la laissera quelques années plus tard aux portes d'un bordel, et qui l'oubliera une nuit de cuite au whisky. Louison, devient Sugar, la petite poupée de ses messieurs, très prisée pour son air ingénu, son air de poupée. Mais Sugar comme Louison, n'est pas tendre. Sugar mord, Sugar griffe, Sugar vole. Louison est devenue l'enfant déchue, l'enfance oubliée, trop vite avalée, elle est l'adulte qui a oublier son adolescence, trop vite passée, trop vite effacée. Alors Louison ne sait plus que mordre et montrer les crocs. Elle hait les hommes, elle hait Paris. Et pourtant, elle reste, parce que Louison elle n'a pas d'autres endroits où aller. Alors c'est l'homme de bonne famille, c'est celui qui a des remords et qui revient la chercher. Il lui donne un peu plus, un peu trop même pour une simple nuit, et il l'implore parce qu'il voit en elle sa fille, sa fille morte quelques jours après son premier souffle, il voit en elle le visage qu'il lui avait imaginé alors il l'implore d'arrêter de vendre son corps, d'arrêter de se torturer ainsi et il lui refile une adresse. C'est le restaurant miteux, les cafards dans la cuisine mais c'est toujours moins malfamé. Alors elle accepte, son corps a bout de souffle à force d'être maltraité comme une poupée. Et puis c'est la rencontre fortuite, c'est l'artiste et c'est la nouvelle muse. Et elle s'amuse, sa muse, à poser pour lui. C'est la nouvelle vie, c'est la nouvelle Louison, adieux Sugar.

« Et alors il s’est passé quelques choses, je me suis laissé aller, dans un total oubli de moi même envahi par la nuit le silence et la plénitude. J’avais trouvé la liberté. Perdre tout espoir, c’était cela la liberté. Fight Club »

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Un dernier regard en arrière et tu cours, tu cours à perdre allène. Un lampadaire, tu t'arrêtes et te laisses tomber à ses pieds. Tu sers contre ton cœur ton précieux butin, un pain de l'avant-veille, un peu trop dur, un peu trop vieux pour être apprécié à sa juste valeur mais toi, toi tu connais la faim, toi tu connais les crampes au ventre et l'envie de faire n'importe quoi rien que pour avoir quelque chose à te mettre sous la dent. Tu t'empresses de croquer dedans appréciant le contact d'un maigre morceau contre tes papilles. Ici, assise contre ton lampadaire tu peux observer la porte de ta maison. Tu peux voir ton père monter les marches jusqu'à la porte, s'affaler dans les escaliers, envoyer un pot de fleur dans le mur énervé d'être tombé. Tu le vois galérer à ouvrir, peiner à rentrer la clé et finalement tombé de nouveau une fois la porte ouverte. Tu le vois entre dans la maison, disparaître subitement. Tu ne le vois plus, mais à présent tu l'entends, tu l'entends hurler, crier ton prénom. Tu l'entends t'insulter de tous ces mots qu'une enfant de six ans ne devrait pas avoir entendu. Tu croques une dernière fois dans le morceau de pain puis tu le caches sous ton t-shirt et rentres chez toi. A peine as-tu passé le pas de la porte que c'est la claque qui vole, c'est le bruit de la main qui s'abat contre la joue, c'est la chute à terre et le pain qui vole. Ton père l'attrape et t'engueule de nouveau, il te rappelle qu'il ne veut pas te voir voler, qu'il ne veut pas que tu ailles trainer dans la rue comme une catin, qu'il ne veut pas que tu manges ce pain et lui il croque dedans, il le mange rapidement et toi t'as les larmes aux yeux. Si tu pleurs encore, je t'assomme. Alors tu retiens tes larmes et tu pars dans ta chambre. Depuis que ta mère s'est endormie à jamais dans la grande chambre d'hôpital ce fut la chute aux enfers. Ton père a sombré dans l'alcool, il s'est endetté auprès de son patron, puis auprès de nombreux commerçants et puis tout s'est aggravé, ce fut l'époque des paris et de l'argent sale. A cause de l'alcool, ce fut ensuite l'époque de la violence et celle-ci continua, sans cesse. Tu passais tes journées dans la rue, tu allais prier à la cathédrale, tu suppliais Dieu de venir t'aider, de t'envoyer un peu d'espoir et de prendre soin de ta mère, ta pauvre mère. Ensuite, tu partais voler un pain ou une orange, parfois tu te faisais attraper et alors c'était une nouvelle claque, mais tes joues étaient habituées. Tu rentrais par la suite et c'était toujours la même histoire, ton père rentrait complètement saoul, il s'énervait contre toi, te rejetait toutes les fautes sur le dos : le manque d'argent, le décès de ta mère et tous les autres petits problèmes qu'il pouvait rencontrer. Parfois il t'obligeait à le suivre, à t'occuper de lui trouver à manger, à lui trouver un verre. Et puis un jour, il t'a emmené là-bas, un bordel comme on en croisait pas mal dans ton quartier. Il t'a demandé d'attendre en bas de l'hôtel, dans la rue et puis il est parti sans toi, oubliée la gamine.

« La nuit tombe, et quand la nuit tombe Paris change de couleur et de sens. HELL, Lolita Pille »
T'es là, étendue dans le lit tandis que l'homme se rhabille et quitte la pièce sans un coup d'œil en arrière, sans un seul regard, laissant là sur la commode quelques billets. Tu te lèves, tu te rhabilles et puis tu sors. Tu dois aller retrouver Leonard, Leonard ton ami, amour, amant nocturne, Leonard ton soutien de la nuit, l'autre enfant des rues, l'enfant rejeté, oublié, effacé. Mais un homme se trouve là, devant la porte, il te fixe restant immobile. Marla.. Tu ne comprends pas, tu n'es pas Marla, Sugar dans leur bras et Louison le reste du temps mais jamais Marla. Excusez-moi, vous allez bien ? Et puis il t'explique, il te parle de sa fille, morte quelques jours après sa naissance, il te dit que tu lui ressembles et qu'elle aurait sûrement été aussi jolie que toi en grandissant, il te dit qu'elle aurait eu cette même chevelure rousse alors il t'implore, il t'implore d'arrêter parce qu'il voit en toi celle qu'elle aurait pu être et qu'il aurait souhaité tout le contraire. Il te donne son numéro, il aimerait te revoir, te parler, te connaître un peu. Il sait que cela t'étonne mais il ne pense pas à mal, il veut simplement un peu oublier son manque. Il te propose d'aller manger avec lui le lendemain midi, t'accepte ça te fera un peu de compagnie et puis il te fait de la peine, il paraît si triste, si épuisé par la vie. Le lendemain, c'est le repas, le courant passe bien comme entre un père et sa fille, enfin t'imagine parce que t'as jamais eu ce genre de relation avec ton père, tu ne te souviens même pas d'avoir déjà eu une conversation avec lui. Il te dit qu'il aimerait t'aider et il te refile un numéro, c'est un restaurant, un petit italien miteux qui cherche une serveuse tu gagneras toujours plus et puis ton corps est là, ton corps est las, épuisé, usé alors tu finis par accepter. Soulagement. Peu à peu t'oublies Sugar, t'oublies celle qui s'user pour leur plaisir, t'oublies ces nuits à t'abandonner.

« Qui ne s’est jamais laissé enchaîner Ne saura jamais ce qu’est la liberté. Gainsbourg »
Passe ta main dans tes cheveux, voilà comme ça, ne bouge plus. Il reste là, derrière son chevalet, le regard rivé sur tes courbes qui se marient aux draps écarlates posés sur le grand lit dans le salon. Quand il détourne le regard, tu ne peux t'empêcher de jeter un coup d'œil autour de toi, d'admirer le grand appartement autour de toi, d'imaginer les plus grandes soirées mondaines, tu vois les dames en robes longues monter le grand escalier, tu vois les hommes un verre de champagne à la main parler de la bourse. Arrête un peu de bouger. Tu te concentres et tu ne bouges plus. Il finit par se lever et te dit que tu peux te rhabiller. Merci, tu as fait du bon travail. La veille, un homme était passé au restaurant et t'avait donné son numéro, il t'avait dit qu'il était étudiant aux beaux-arts et qu'il cherchait une modèle pour ses peintures. Alors t'avais appelé, sans trop savoir où tu te rendais, ce monde t'étant totalement inconnu. Il avait à te voir immédiatement et puis il avait dit que tu conviendrais, il avait marmonné quelques mots parlant technique, toi t'avais rien compris mais tu avais le droit à un test, le lendemain, il voulait voir ce que tu valais. Et apparemment tu t'en étais bien tiré, il te propose de revenir, il dit que tu lui plais, il dit qu'il aimerait que tu poses pour lui, alors t'accepte. Ca fait déjà huit mois. Huit mois que tu viens là, que tu poses pour lui. A présent, tu poses aussi aux beaux-arts pour les cours de peinture de nus. Tu t'amuses à jouer au muse, tu t'amuses à jouer avec les objets, les accessoires et la lumière. Tu t'amuses, sa muse, à lui plaire, à le voir te désirer, là-bas, derrière son chevalet et puis réduire finalement la distance qui vous sépare et venir t'embrasser. Mais t'es l'indomptée, Louison, tu pars trop vite quand on essaye de t'avoir, de t'enfermer, il l'a bien compris alors il ne te promet rien, il ne te parle pas d'avenir. C'est une relation uniquement au présent. Et l'enfant effarouchée se laisse un peu aller, se laisse peu à peu dompter mais ça ne te plait pas vraiment alors tu fuis, l'enfant effrayée, tu te retrouves dans les bras de ta nuit, de tes rues. Tu t'endors dans l'escalier de Montmartre. Tu penses un peu à Leonard, tu te demandes où la vie l'a mené. Tu rentres bien vite chez toi, ce petit appartement dans la goutte d'or, celui-là même où elle t'attend paisiblement endormie sur ton oreiller. Tu l'as rencontré peu de temps après avoir commencé ton travail en tant que serveuse et elle t'a accueilli chez elle en tant que colocataire. Elle est le faon et toi la louve, elle t'apaise, elle te calme, t'en deviendrait presque douce. C'est pas de l'amour, parfois plus parfois moins, vous n'êtes pas non plus ensemble, c'est simplement une relation très tendre, un exutoire à la violence du monde extérieur.