« Mais qu'est-ce que tu fous, Albane ?! - J'arrive, j'arrive... Je suis en chemin, je le jure. Coincée dans un taxi, lui-même coincé dans des embouteillages. - Maman va péter un câble, tu le sais ça ? - Et ma gentille petite sœur sera là pour la calmer... - Magne-toi si tu ne veux pas me retrouver encastré dans un banc de l'église. - Ta tête serait susceptible de me servir de coussin ? Le vol a été long, j'ai mal aux... - Bouge-toi, pour notre cousine Cynthia, pour maman, pour moi, pour le curé qui patiente sagement, pour qui tu veux, mais bouge-toi ! » Le mariage de Cynthia. Notre cousine. Tellement perchée, que je me demande encore pourquoi elle avait souhaité m'avoir comme demoiselle d'honneur. Non vraiment, sans me dévaloriser pour ce qui est des essayages, des organisations de supers soirées, des dégustations de gâteaux en tout genre et des commandes de dragées : je suis une vraie bille. Une véritable handicapée. Il suffisait d'en faire le constat. Nous étions le jour J, mon avion avait eu du retard et je venais tout juste de me changer à l'arrière d'un taxi. Heureusement que j'avais confié les alliances à Maëlise, sachant pertinemment que les bijoux ne quitteraient pas sa chambre de princesse. J'avais fait une promesse, comme souvent d'ailleurs, et je comptais bien la tenir. J'avais même fait une liste pour la journée. Respectueuse et aimable j'allais être envers la famille du marié. Avec mon ami modération j'allais boire, afin de ne pas finir la tête sous la fontaine à chocolat. Raconter à ma mère que j'avais un potentiel petit-ami, et donc lui mentir, pour que son cerveau traduise "futur mari et père de ses premiers petits enfants". Quoi ?! La paix avait un prix, je ne faisais qu'en débourser le montant ! J'étais parfois du genre à hocher la tête en signe d'approbation, alors que je ne faisais pas tellement attention à ce qui se passait autour de moi. J'étais parfois du genre à dormir debout, comme lorsqu'on ma mère me donnait de légers coups de coude au moindre mot du curé au sujet de la fidélité et de l'amour éternel. « Foutaises... » grinçais-je entre mes dents, avant de retourner ma veste devant les amoureux sur le parvis de l'église : « Quel magnifique discours ; si émouvant... » Moi aussi j'avais été forcée d'en écrire un. Et bon sang ce que j'avais galéré. Je me souviens avoir demandé les derniers mots à ma voisine de vol, une gamine de 6 ans dont l'imagination semblait être très fertile. Il suffisait d'observer son coloriage. Un ours vert... Il y avait de quoi s'interroger sur ce qui se tramait sous ses deux couettes. Fort heureusement, les mariés avaient sourient, loin de se douter qu'une gosse avait signé cette magnifique fin, digne des contes de fées. La belle-mère de Cynthia, par contre, avait peut-être mal pris le : "la princesse a été plus forte que la sorcière". Merde... J'avais déjà loupé un point de ma fameuse liste ! Si encore je m'étais arrêté à cela... Lorsque l'heure du gâteau a sonné, tout le monde s'était arrêté, émerveillé devant une mariée pompette et un époux tanguant devant une imposante pièce montée. Moi aussi je sentais le vin me monter à la tête, mais je ne ressemblais pas encore à Marta Smith et son rouge à lèvres sur les dents. J'avais encore les pieds sur terre et les idées en place. « Chouette réception, non ? » Un type venait de se poster à côté de moi. Grand, brun, yeux noisettes... Vraiment charmant. J'avais hoché la tête, doutant peut-être de la blancheur de mes dents sur le coup, incapable d'esquisser un véritable sourire. Ou encore de mon haleine pour lui adresser quelques mots. Maëlise m'avait fait picoler ! Chaque verre qu'elle se servait, j'étais obligée de le boire. C'était mon rôle de grande sœur : la protéger des vices de l'alcool. Je ne voulais pas que cet inconnu me surnomme mentalement « La Poche ». Je me voyais déjà installée à une table désertée par les danseurs de macarena, à discuter avec lui. De tout et de rien. Surtout de rien, vu mon état. Numéros échangés, il aurait suffit d'un seul rendez-vous pour que je tombe dans ses bras et qu'il me promette une vie faite de bonheur et de plaisir. Jusqu'à ce qu'une lame s’immisce entre nous. Réellement. Tournant la tête, je venais de voir passer ce que mon cerveau qualifiait instinctivement d'arme blanche. Par pur réflexe, ma main avait saisi le poignet du serveur, et il était passé par-dessus mon épaule, chutant violemment au sol alors que j'immobilisais son poignet, et donc la lame. Le jeune me fixait, presque apeuré. J'avais toujours eu ce réflexe, craignant toujours que l'on s'en prenne à moi et donc voyant souvent le danger où il n'était pas. Qui aurait tenté de tuer Cynthia, franchement ? Ok, sa robe était jolie, mais quand même... Il n'y avait plus un bruit. « J'allais juste sabrer... le... le... champagne. » Oup's ! Esquissant un large sourire, trop franc pour être sincère, je le relâchais. « Bon réflexe mon gars... Je... Youhou ! Champagne ! » Heureusement pour moi, ils étaient tous imbibés. Mon inconnu ? Il s'était tiré. Il parlait à Marta. Flûte !

« Oh putain... Oh putain, putain, putain... » -soufflais-je tout bas en jetant un regard par-dessus mon épaule. Ils me regardaient avec un peu trop d'insistance, c'était mauvais signe. Je n'étais pas dupe, je me doutait bien qu'ils étaient là pour moi. Ils avaient parlé à l'assistante sociale ; ils venaient pour m'emmener avec eux et m'enfermer. Ces gens voulaient me prendre ma petite sœur, ma vie entière. Tout ça parce que j'étais soit disant malade et que je refusais d'avaler ces saletés de pilules ! Me droguer ? Jamais ! A la base j'étais venue ici pour faire mes courses. Le réfrigérateur était vide, et je ne voulais pas que Maëlise manque de quoique ce soit. Oui, aujourd'hui, elle vivait avec moi. A tout juste 17 ans, et avec une année d'avance, elle avait été acceptée dans un établissement parisien pour ses études supérieures. Elle était sous ma responsabilité désormais... Papa était à ramasser à la petite cuillère depuis le décès de maman. La question ne s'était pas posée longtemps, nous avions fait en sorte que je sois sa tutrice légale. Malheureusement, il n'avait eu de cesse de dire que mon état se dégradait, voyant la maladie de partout. Pour moi, mon père virait à l'obsession et me déclarait malade mentale pour ne pas voir ses propres troubles. Tout comme je ne percevais pas les miens. Une fois dans plus, dans ce centre commercial, je ne pensais qu'à ma petite sœur et je craignais qu'on me l'enlève. Alors mon cerveau inventait toute sorte de scénarios catastrophes ; jusqu'à ce que ce stresse déclenche une véritable crise d'angoisse. « Mais faites attention ! -  Pardon... » J'avais abandonné mon panier dans un rayon, et pris la fuite. A me voir, j'aurais pu remporter un sprint face à Usain Bolt, les doigts dans le nez. J'avais quitté le magasin, traversé une allée et emprunté un escalator. Je n'osais même pas regarder derrière moi, persuadée que l'on me suivait. De la pure paranoïa, dont je n'avais pas conscience. Je voulais à tout pris trouver une issue de secours. Un agent de sécurité entra dans mon champs de vision à ce moment là, regardant de gauche à droite un peu partout autour de lui. Ni une, ni deux, mon réflexe fut d'attraper le bras d'un homme croisant mon chemin, pour lui faire face et donc me cacher. Mon petit gabarit ne fut pas difficile à dissimuler derrière cette carrure. « Non mais ça va pas ?! » Il baissa son regard vers moi, prêt à m'engueuler. Aussitôt je plaquais ma main sur ses lèvres. « Chut ! S'il vous plait ! » Je le suppliais presque. « On me cherche, taisez-vous. » Il fronça les sourcils, et retira lui-même ma main de sa bouche. « C'est pas une raison pour attraper les gens comme ça. Vous êtes qui ? Et puis qui vous cherche ?! » Il était peut-être mignon, mais quel curieux ! « Je suis sérieuse, c'est important. » Il me détailla, sans un mot... Puis il tourna la tête, sans doute à la recherche des personnes que je fuyais comme la peste. « Venez là ! » Je l’entraînais avec moi, sans même lui demander son avis. J'étais bien trop concentrée sur ce que je faisais. A tel point que je ne l'entendais même pas râler. Je le poussais jusque dans les toilettes du centre commercial, sans même savoir pourquoi je ne l'avais pas laisser retourner à ses occupations. A croire que j'avais besoin de quelqu'un à mes côtés pour faire retomber la pression. N'importe qui, même un inconnu. « Je les ai vu, c'est vrai. Ils ne font pas marrer. » Je le fixais, comprenant qu'il parlait d'eux. J'étais pâle, le visage complètement déconfit. Et j'étais loin de me douter qu'en réalité il se jouait de moi, malsain et mauvais à souhait pour en arriver à se foutre de moi comme ça. Il n'avait rien vu en réalité, puisque tout cela provenait du fruit de mon imagination. Mais il semblait bien décidé à en s'en amuser, cachant drôlement bien sa comédie. « Mais je vais vous aider à rentrer chez vous. » Je l'ai regardé pendant de longues secondes, me demandant si je pouvais lui faire confiance. Mais après tout, je n'avais plus que lui, non ? Retirant mes escarpins, je lui donnais le feu vert pour me sortir de là. C'est comme ça que j'ai traversé le centre commercial pieds nus, allant même jusqu'à marcher sur un tapis roulant en sens inverse, sous le regard médusé de l'inconnu. La course s'est finalement arrêtée non loin de l'appartement, puisqu'il m'avait ramené en moto. J'étais prête à le remercier et lui rendre sa liberté, toujours pieds nus soit dit en passant, lorsque Maëlise s'approcha de nous, sac sur l'épaule. « Tu ne devais pas faire des courses, toi ? » Je m'empressais de la serrer dans mes bras, comme si ça faisait des mois que je ne l'avais pas vu. J'en oubliais complètement le type. C'était toujours comme ça. Lors d'une crise je me concentrais toujours sur une seule chose à la fois. « Quoi ? » Une larme roula sur ma joue et lorsqu'elle la vit, Maëlise comprit. « Euh... Merci de l'avoir raccompagné... Vous êtes un collègue ? » -lança-t-elle à l'inconnu, en lui tendant une main amicale. « Sasha, ...Non pas vraiment. » Il lui serra la main et ma petite sœur récupéra mon sac pour y dénicher un petit papier sur lequel elle griffonna le numéro du téléphone fixe. « Si vous avez besoin de quoique ce soit, on vous rendra service comme vous l'avez fait pour ma sœur. » Une vraie petite maman. Elle prenait soin de moi mine de rien... Le dénommé Sasha accepta l'offre à condition qu'elle prenne elle aussi sa carte de visite. Sous le choc de ma crise d'angoisse, je l'ai bien vite oublié... Mais pas lui apparemment, à en croire le coup de file qu'à reçu ma cadette la semaine suivante.