« Naitre dans une écurie ne fait pas de toi un cheval. »
«  Ce n'est pas parce que tu es né dans cette maison que tout va te tomber dans les mains » m'avait un jour dit mon père. C'était le jour où mon frère Arthur avait quitté la maison. C'était lui l'aîné, mon exemple, j'avais toujours été surpris et admiratif devant la façon qu'il avait eu de gérer sa vie, refusant complètement l'autorité de nos parents, et bien qu'il m'arrivait de le trouver ingrat, j'étais heureux qu'il puisse s'épanouir à son gré. Cette liberté avait un prix et mon père lui avait aussi tôt coupé les vivres, furieux à l'idée que son fils ne respecte pas les plans qu'il lui avait conçu alors même qu'il n'était pas encore né. Arthur avait simplement pris un sac et claqué la porte. L'attention de mon père s'était alors tourné sur moi, jusque là tranquille. Je n'ai pas eu de nouvelles de mon frère pendant un moment. J'avais dix ans lorsqu'il était parti, il en avait seize et j'ignorais pendant longtemps ce qu'il était devenu. Mes parents l'avaient banni et mon père manœuvrait à présent du mieux qu'il pouvait pour réussir avec moi ce qu'il avait échoué avec Arthur. Le construire à son image.
Je pense que malgré les quelques failles dont il ne doit pas avoir idée, il doit à présent être plutôt fier de son coup.
J'ai retrouvé contact avec mon frère il y a quelques années, grâce aux réseaux sociaux et une connaissance commune qui nous avait remis en contact et il semblait plutôt heureux de sa situation. Il vivait en Allemagne et disait que la vie était agréable là bas, il gagnait modestement sa vie et me conviait à son mariage qui devait avoir lieu quelques semaines plus tard. Mes parents ne voulaient toujours pas entendre de lui et ils refusèrent catégoriquement de s'y rendre.
« Qu'est-ce que tu deviens ? Les études ? » m'avait-il demandé et je lui répondais « J'ai passé mon bac et je suis en école de commerce. » il esquissa un sourire amusé avant de commenter « Papa doit être content... » et je levais les yeux au ciel. « Il l'est. C'est ce qu'il voulait. Et moi aussi dans un sens, je crois... » Arthur haussa les épaules. « Comment va maman ? » me questionna-t-il et j'hésitais à lui dire la vérité, parce qu'elle n'était pas très belle à voir. Je crois qu'il le comprit dans la grimace que j'affichai pendant quelques secondes. « Toujours pareille hein?Les disputes, les envies de divorce, l'argent ? » il marqua une pause avant de reprendre « Je n'ai jamais regretté une seule seconde d'être parti. 
- Tu mens.
- Sûrement pas. J'ai tout ce que je veux.
- Ah oué, tu vis dans un appartement pourri avec une voiture pourrie, un canapé pourri, un job pourri dans une entreprise pourrie et ton mariage sera sûrement pourrie.
- Tu ne comprends pas, tu es comme eux.
- Arrête Arthur, t'es trop cool. Tu m'apprends trop la vie.
- Et arrogant en plus, comme eux. Ils ont vraiment bien fait leur coup.
- Je suis pas... Arrogant.
- Maman se shoote toujours aux medocs ?
- Quoi ? Oui, bien sûr qu'elle en prend toujours.
- Et toi ?
- Non.
- Oh, tu dois bien prendre quelques trucs de temps en temps non ? Du Xanax ? Ou de la coc. Tu comprendras plus tard... Ou peut-être pas. Mais il y a des choses que tu ne peux pas acheter.
- Oué comme l'amour c'est ça ? T'es trop mignon arrête, je vais chialer.
- Tu vas reprendre l'entreprise ?
- A ton avis ?»

Après le mariage, nous nous sommes revus quelques fois et sa façon de voir les choses, de critiquer tout le monde dans lequel nous avions nagé depuis notre plus jeune âge, ça me dégoûtait petit à petit de lui, de sa vie moyenne avec sa femme moyenne et sa maison moyenne. J'ignorais comment il pouvait s'en contenter alors que la vie (et surtout mes parents) lui avait offerte autant d'opportunités. Il gâchait tout pour n'être que moyen, et il s'en vantait.
Excepté le départ d'Arthur et l'addiction de ma mère pour pas mal de substances médicamenteuses, ma vie n'avait pas été vraiment difficile. J'étais communément ce qu'on pouvait appeler de « bon parti » et il n'était pas difficile pour moi de me faire une place parce qu'elle était prête depuis ma naissance, que mon nom était là, présent. Encré.
J'avais apparemment hérité de l'arrogance de mon père, ce comportement qu'il pouvait avoir en présence de personne qu'il jugeait inférieur et j'avais tendance à croire que certaines personnes pouvaient valoir moins que d'autres. Je croyais au capitalisme et au luxe. J'étais un de ces parisiens prétentieux parmi tant d'autres, le petit con parfois sans scrupule, surtout entouré de ses « semblables »... Mais j'avais aussi développé quelques principes qui n'étaient pas forcément très prisés dans ce monde là. J'avais toujours mis un point d'honneur à respecter les personnes qui m'étaient proches, je restais loyaux à mes amis, généralement fidèle à mes copines.. Et j'étais sûrement autant un petit branleur qu'un bon pote.