Comme pour la plupart des gens, ta vie a été une suite d'événements, parfois heureux, parfois malheureux. Tu es née le 19 mai 1994 à Brooklyn, de deux parents ni riches ni pauvres, peut-être un peu plus aisée que la classe moyenne, mais sans aller dans les extrêmes. Ta naissance fut un pur bonheur pour eux. Tu es leur ange, leur chérie. Ils n'étaient pas censés pouvoir avoir des enfants, mais un miracle s'est produit, et c'est toi. Ils t'ont appelée Félicie, un nom qui représente si bien ce que tu es. Ca signifie heureuse. Et pendant toute ton enfance, ça s'est avéré vrai, tu étais heureuse, tu souriais tout le temps, apportant du grand bonheur à tes parents. Tu étais timide, mais tellement joueuse. Tu courais partout après ton chat dans le petit jardin de ta maison en riant. Une jolie petite fille, Félicie. Ton deuxième prénom, Aurore, tu le dois à ta grand-mère, qui avait le même prénom, décédée quelques jours avant ta naissance. Ta mère a eu énormément de peine, et elle a choisi de lui rendre hommage en te donnant son prénom, comme si elle vivait en toi. Tu es fière de ton nom, tu es fière d'être la fille de tes parents. Ils sont attentionnés avec toi, ils te chouchoutent parce que tu restes à jamais leur petit miracle. Ils sourient quand tu ris, ils pleurent quand une larme coule sur ta joue, ils t'aiment tout simplement. Tu grandis tranquillement dans un cadre de vie idéale. Vous n'êtes pas riches, mais vous avez suffisamment d'argent pour que tu puisses avoir ce qu'il te faut. Tu es un petit rayon de soleil ambulant, apportant le bonheur aux gens, tentant d'aider un maximum, malgré ton tout jeune âge.

Tu dois avoir 12 ans quand ça va mal. Ton père part pour son travail un jour. Il t'embrasse sur le front pour te dire au revoir et te caresse les cheveux, puis il embrasse ta mère et part avec le sourire. C'est la dernière fois que tu le vois. Il ne revient plus, il laisse un vide chez toi. Un jour, au petit déjeuner, ta mère reçoit un appel qui lui annonce que son mari est mort, il faisait partie des victimes d'un crash d'avion. Ta mère s'effondre devant toi, alors que tu es en train de manger ta salade de fruits. Elle s'écrase au sol sous tes petits yeux. Tu la regardes, elle pleure, tu n'as pas souvent vu ta mère pleurer. Tu vas vers elle, tu t'accroupis et tu la soutiens. Tu lui demandes ce qu'il se passe, tu ne comprends pas. Après de longs pleurs, qu'elle est incapable de stopper, elle t'annonce la mort de ton père. Tu ne la crois pas, tu nies en bloc, tu répètes que non, que c'est pas vrai, qu'il n'était pas encore dans l'avion, il devait rentrer plus tard. Mais il est rentré plus tôt pour vous voir. C'est à toi de t'écrouler. Tu as mal, tu as tellement mal au cœur. Tu restes un moment au sol, tellement choquée que tu ne pleures même pas, tu n'as même plus la force de respirer. Tu te raccroche à un espoir, son téléphone. Tu te lèves alors précipitamment, tu cours jusqu'à ta chambre pour attraper ton téléphone, tu composes son numéro. Tu appelles une fois, sa messagerie. Tu rappelles, sa messagerie. Tu renouvelles l'opération une dizaine de fois, sans aucune réponse. Tu paniques, tu jettes ton téléphone par terre, tu te recroquevilles sur toi-même, et tu pleures enfin. C'est la chose qui te détruit. Tu as laissé ta mère dans la salle à manger, au sol. Toi tu restes dans ta chambre. Tu as douze ans, tu ne devais pas perdre ton père si tôt, tu avais besoin de lui. Tu restes enfermée dans ta chambre pendant des jours, tu n'en sors pas, tu ne manges plus, tu ne bois plus, tu ne te laves plus, tu restes là, recroquevillée sur toi-même, pendant des jours, tes longs cheveux roux devant le visage. Tu ne sais pas ce que fait ta mère, tu ne la vois pas. Tu restes là, sans bouger.

Un jour, ta mère entre enfin dans ta chambre avec un plateau repas. Elle se pose à côté de toi sur ton lit et te sourit tristement. Tu ne la vois pas bien, tes cheveux devant le visage. Toi qui souriais tout le temps, qui allait si bien, toi le petit rayon de soleil, voilà que la lune t'as prise. Ta mère te caresse gentiment les cheveux, ça te fait penser à ton père. Elle te mets les cheveux derrière l'oreille pour pouvoir te voir. Elle a un petit sourire sur le visage que tu ne comprends pas. Son mari est mort non ? Pourquoi elle sourit ? Tu ne te rends pas compte des jours qui ont passé, ni de la force de ta mère de se retenir de pleurer. Elle te dit qu'il est temps que tu sortes de là, qu'il faut que vous fassiez votre deuil. Elle te parle de l'enterrement. Ca te fend le cœur. Tu la regardes avec tes yeux rouges, tu as trop pleuré. « Maman, je veux pas lui dire au revoir, je veux pas qu'il parte. » Tu prononces ces petits mots de petites filles, autrefois heureuse. Elle te regardes, esquisse encore ce même sourire, mais les larmes coulent sur ses joues. Elle fermes les yeux et t'enlace. « Moi non plus ma chérie. Moi non plus. » Tu te rends alors compte qu'elle se retient de pleurer, qu'elle essaie juste de te remonter le moral en même temps que le sien. Elle te dit de sortir de ta chambre, de te laver, de manger, d'aller à l'école, de ne pas vivre dans cette peine pour toujours, elle te dit qu'il faut aller de l'avant. Ces mots rassurant, elle se les dit aussi à elle, tu le sais. Tu fais ce qu'elle te dit, pour ne pas accentuer sa peine. La mort de ton père est ce qui te fait le plus de mal depuis toujours.

L'enterrement passe, ça te fait mal, ça te tue de voir cette boîte descendre sous la terre, d'entendre ce prêtre parler de la vie sans lui, de son chemin vers le paradis, tu as mal, tu ne souris plus, tu as perdu ton rayon de soleil, tu as perdu ton bonheur, ta façon d'être. Tu n'as que douze ans mais tu es déjà brisée, par la mort de ton père. Tu ne l'acceptes pas. Qu'est-ce qu'il foutait dans cet avion ? Pourquoi est-ce qu'il a voulu rentrer plus tôt ? Tu fais des crises, tu enchaînes les cauchemars. Tu ne vis plus pendant des années. Ta mère voit ta dégradation, elle voit que tu ne lui souris plus du tout. En quatre ans elle ne voit plus ton sourire, tu as changé, tu es dépressive et tout dans cette maison te rappelle ton père, ce père qui ne sera plus jamais là, ce père qui est parti alors que tu avait tant besoin de lui pour te construire. Tout dans cette maison te rappelle son absence. Tu vas à l'école mais tu ne fais plus attention, les autres ne te reconnaissent plus, tu es vide, tu as le regard éteint. Ta mère se reconstruit petit à petit, avec l'aide d'un psychiatre, mais toi tu n'as pas voulu. Tu n'as besoin de personne à part ton père. Quand tu rentres de l'école, tu t'enfermes dans ta chambre avec des Walt Disney que tu regardes en boucle, comme si ça te rassurait sans savoir trop pourquoi. Tu développes une passion pour ces films, ces dessins animés, alors que tu es au collège et que tu grandis. Les autres se moquent de toi et de tes hobby, mais tu t'en moques. Tu as seize ans lorsque les choses commencent à changer. Tu restes toujours enfermée dans le noir de ta chambre à regarder tes films, à ne pas sortir. Ta mère en a assez de tout ça. Elle ne supporte plus de voir sa fille ruminer le passé, s'enfoncer dans la dépression, elle a peur pour toi. Elle n'a rien fait auparavant, elle ne pouvait pas, elle aussi était mal, elle non plus n'allait pas bien. Elle va mieux maintenant. Elle n'oublie pas ton père, non, jamais, mais elle vit en acceptant sa mort, ce que tu es incapable de faire.

Elle décide donc de partir, de déménager, de changer de vie, d'environnement, parce que cette maison te fait trop mal. Elle décide de retourner dans son pays d'origine, la France. Vous vous installez à Paris, laissant tout derrière vous, dans l'espoir d'une belle vie future. Ta mère espère vraiment que tu iras mieux là-bas, que tu te reconstruiras. Tu as dix sept ans, tu es américaine, tu débarques en France dans un lycée où tu ne connais personne, avec un fort accent américain. Ca ne t'aide pas vraiment à te sentir mieux, les gens se moquent de toi, de ton look atypique, de ta façon d'être. Pourtant, petit à petit, certains viennent vers toi, passionnés par les USA. Tu leur racontes ta vie là-bas, tu te fais des amis. Petit à petit, tu recommences à sourire. A ton anniversaire, ta mère t'offre un trésor inestimable, elle t'offre un lapin bélier, un animal magnifique, que tu adoptes immédiatement. Il ne te quitte plus. Parfois même, tu l'emmènes au lycée. Les gens se moquent encore, mais tu t'en fiches. Tu n'es pas du genre à te poser des questions sur tout. Ton petit lapin, tu le chéris, tu l'aimes, tu l'adores. Tu sors du lycée, partiellement reconstruite. Tu décides d'aller dans une école de stylisme, parce que c'est ta passion, une passion qui est arrivée tôt, et que tu as enfin la possibilité de réaliser. Tu entres donc dans une bonne école parisienne. Tu commences à prendre la vie autrement, à reprendre pied, tu profites de l'instant présent, tu as appris à aimer la vie, parce qu'elle est si précieuse, si fragile. Tu as toujours ton lapin avec toi, que tu as appelé Lotus, le voir te suivre partout te fait sourire. Il te rend un peu ta joie passée.

Un jour, alors que tu as 18 ans, pendant un cours dans ton école, un mannequin vient vous servir de... mannequin pour vos créations, pour voir ce que ça donne en taille réelle, sur une personne. Cette mannequin, c'est devenue ton amie. Ton amie très chère, ta meilleure amie peut-être même. Elle t'a redonnée ton ancien sourire, elle t'a fait redevenir celle que tu étais autrefois. Tu ne sais pas vraiment comment, peut-être sa façon d'être. Tu es redevenue la petite fille souriante d’antan, la petite fille amusante, la naïve, la rêveuse, la timide. Tu souris tout le temps maintenant, grâce à elle. C'est à peine si on te reconnaît. Ta mère est très fière. Vivre à Paris, c'était la meilleure chose à faire. Tu savoures chaque instant maintenant, parce que tu sais que tout peut aller très vite et disparaître. Tu penses toujours à ton père, tu le gardes dans ton cœur et de cette façon, il est avec toi. Tu souris à la vie maintenant, même si parfois il t'arrive de pleurer, comme tout le monde. Aux yeux des autres, tu parais plus jeune à cause de ta timidité, mais aussi de tes hobby, de tes habitudes, de tes expressions. Tu regardes toujours autant les Walt Disney, tu adores ça, tu parles à ton lapin comme si tu étais une enfant, tu lui cours après, ton sourire aussi paraît enfantin. Tu es bien comme tu es, même si ça ne plaît pas à tous. Ta naïveté est celle d'une enfant, et tu pourrais bien t'en mordre les doigts, mais tu profites de cette vie que tu as la chance de vivre, tu souris, tu veux rendre ta mère fière, et ton père aussi, de là-haut. Tu ne sais pas ce qui t'attend, mais tu n'y penses pas. Tu es sortie de ton cercueil pour mieux vivre.